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L’Entente Agraire: un développement rural qui prend en compte le paysan

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L’entente que sont en train de négocier le gouvernement et les FARC, se profile comme la possibilité  de redonner la dignité aux paysans – de les sauver de  l’abandon, de la pauvreté et de la discrimination historique auxquelles  ils ont été soumis, et d’initier une transformation de la campagne colombienne basée sur le développement rural intégré. C’est qui se reflète dans le premier point de l’ordre du jour de la négociation: la question agraire et le développement rural.

Gardant à l’esprit que «rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu ", comme cela a été soulevé sur la table des négociations à La Havane (Cuba), l’accord «Vers une nouvelle campagne colombienne: réforme rurale intégrée " représente une avancée majeure à la négociation et donne surtout une grande importance à la question rurale dans le débat public.

Pour mieux comprendre ce qu’impliqué l’entente, les possibilités  et les défis qu’elle présente, l’agence de presse de l’IPC a consulté l’avis de deux spécialistes sur la question de la campagne colombienne: le professeur Absalom Machadoconsultant en Développement Rural Integré du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) – et le sociologue, journaliste et écrivain colombien, Alfredo Molano. Ce dernier a beaucoup travaillé sur les questions nationales sociales, notamment celles liées aux minorités.

Pour Absalom Machado, par le biais de cette entente, le pays est en train de reconnaître qu’il y a eu une négligence envers le secteur rural. Cela ouvre donc la possibilité de créer une politique publique de développement rural à long terme et en tant que politique d’État.

L’intellectuel a souligné l’importance de prendre en considération les populations dans ces  discussions et de récupérer l’idée du développement humain dans les régions rurales afin de résoudre les inégalités et la discrimination qui ont eu lieu dans ce secteur.

Et, même si le modèle ne change pas tout de suite, le professeur Machado estime qu’en moyen terme, il est possible de songer à «repenser le modèle de développement rural d’une manière beaucoup plus moderne, démocratique et équitable."

Cependant, avertit le chercheur, l’entente proposée fait face à différents défis, tels que l’opposition de certains secteurs et les faiblesses institutionnelles et organisationnelles qui existent dans le secteur rural.

Pour sa part, Alfredo Molano a déclaré que résoudre le problème agraire est un point important pour la remise des armes des FARC, mais que cela ne règle pas tous les conflits présents dans le pays.

Le journaliste note, comme fait historique, que pour la  première fois, il y a une entente solide avec les FARC sur la question agraire. Il déduit aussi qu’il peut déjà y avoir plusieurs consensus sur certaines questions, mais que le tout sera dévoilé en temps et lieu.

Ceux qui seront possiblement les plus perturbés par cette entente, selon Molano, sont Uribe et les grands propriétaires terriens, parce que même si l’entente ne parle pas directement des grandes propriétés terriennes,  elles " seront affectées d’une ou d’une autre manière."

Les deux analystes ont convenu que l’entente est encore très embryonnaire et elle est certainement une étape importante dans le processus de paix. C’est ce que Absalom Machado et Alfredo Molano ont répondu en se référant à l’entente  agraire et le développement rural:

 

Absalon Machado, consultant en développement rural du PNUD, qui a dirigé le Rapport sur le développement humain 2011 du PNUD " Colombie rurale raisons pour l’espoir"

1. Que peut-on noter de cet accord sur la question du développement agricole et rural présenté par le gouvernement et les FARC?

Notez que sont des déclarations très générales et aucun détail n’est connu, on retrouve essentiellement la liste des principales questions.

Donc, à première vue, l’entente est une bonne nouvelle, dans le sens qu’elle met la question rurale dans le débat public et ouvre une perspective sur la mise en œuvre d’une politique de développement rural  à long terme et en tant que politique d’État. Elle fait aussi ressortir  l’importance des questions rurales dans le conflit. Je pense que c’est une reconnaissance très claire et il me semble que c’est la façon de montrer que le pays  reconnait la grande négligence qu’il a eu envers le secteur rural, qui est un secteur stratégique pour le développement, mais que traditionnellement, n’a pas été pris en compte dans les politiques publiques

deuxièmement, complémentairement à ce point, je voudrais dire que c’est le début d’une reprise du développement rural dans la politique publique de la Colombie – un développement rural qui a été dévalorisé au fil du temps  surtout depuis les 20 dernières années.  Avec cette entente et les approches politiques du gouvernement actuel,  la question du développement rural est reconsidérée, dans le sens que ce sont maintenant les populations qui comptent et non seulement l’aspect concurrentiel des marchés , non pas parce qu’ils ne sont pas importants, ils sont très importants, mais la politique publique a été subordonnée par la question d’un développement plus productif et plus concurrentiel , et cette entente met les populations au centre des discussions et je pense que cela peut être un point de départ pour mettre de l’avant l’idée qu’il faut mettre de l’avant l’importance du développement humain dans le secteur rural afin de résoudre les inégalités et la discrimination que connaît  ce secteur, notamment en prenant en compte les populations rurales qui sont très vulnérables et que le conflit a rendues encore plus vulnérables .

La troisième chose dont j’aimerais parler, c’est que l’on s’attend à ce que l’État et la société soient très bien préparés pour la mise en œuvre de cet accord et de ceux à venir. C’est-à-dire que même si  cette négociation  voit le jour, nous savons par les diagnostics qu’ il existe un problème, tel que mentionné par le  ministre de l’Agriculture, Juan Camilo Restrepo, qui soulignait la grande faiblesse institutionnelle tout au long du processus de la structure et de la conception institutionnelle de l’État dans le secteur rural. Et, je pense que cette entente ouvre une perspective pour le pays pour faire réellement une réforme institutionnelle majeure pour le secteur rural, afin que ces ententes puissent être mises en œuvre correctement et maintenues dans le temps, et qu’il ne s’agit pas seulement d’un moment conjoncturel. Ce sujet me semble donc être une question  plus institutionnelle, que dérive de ces ententes.

Dans le même ordre d’idée, je dirais qu’il y a une sorte de changement d’orientation de la politique publique vers le rural, qui est , comme je l’ai dit au début, de regarder plus la question de la pauvreté, des inégalités, du développement des populations rurales que tout autre aspect de la ruralité. Il ne s’agit pas d’un  changement profond du modèle de développement qui a été fait auparavant dans la campagne, mais il y a un virement de situation. Si l’entente est maintenue et bien gérée dans le moyen terme, cela pourrait permettre de repenser le modèle de développement rural  d’une façon beaucoup plus moderne, démocratique, équitable, etc

 

2. Puisque vous avez mentionné comme premier problème – ce qui a d’ailleurs été aussi signalé par le ministère de l’Agriculture – la faiblesse des institutions, quels seraient les autres problèmes qui pourraient subvenir si cette entente ou cette proposition voit le jour en Colombie?

Je dirais qu’en plus du problème institutionnel, il y a une grande précarité dans les régions et dans les zones rurales des municipalités dans la mise en œuvre des politiques publiques. Ce sont des secteurs qui ont été négligés et qui ont connu beaucoup de problèmes pendant le conflit. Cette politique de développement rural, qui met davantage l’accent sur le territoire, doit tenir compte de la réalité des gens dans les régions. En ce sens, il y a  un problème parce que les organisations sociales, les producteurs, etc., qui agissent aux niveaux local et régional, ont de nombreuses faiblesses et ne sont pas très forts, ne s’articulent pas très bien entre eux et n’ont pas assez de force ni la capacité de négocier et de proposer des choses.

Ceci montre une lacune de la société civile, qui a besoin évidemment des politiques afin de se renforcer et pour que naisse un développement conjoint entre l’État et la société civile, parce que nous devons nous rappeler que le problème en milieu rural n’est pas un problème se rapportant uniquement à l’État, mais à toute la société. On pense qu’il y aura des difficultés au début, mais les communautés doivent également être préparées pour cela, pour répondre aux défis d’une nouvelle politique plus intensive.

En outre, peut-être qu’au cours du processus certains groupes sociaux ou des acteurs  s’opposeront a ce type de réforme, mais je dirais que cela dépendra beaucoup de la force dont dispose l’État, pour défendre une stratégie et une politique, et de la capacité des organisations sociales pour défendre les possibilités de résoudre les problèmes qui ont fragilisé les familles rurales.

Je ne pense pas que le problème soit le manque de ressources. Je crois que si la mise en œuvre de ces ententes nécessite plus de ressources que celles actuellement utilisées, l’État pourra faire des ajustements budgétaires, évidemment sans beaucoup de souplesse, mais il les a (les ressources), et il y a de nombreuses ressources disponibles dans la communauté internationale qui peuvent être obtenues pour soutenir ce type de processus.

Évidemment, il faut également comprendre qu’une fois réalisées, ces ententes, les conflits, la criminalité et l’illégalité dans le secteur rural ne finiront pas immédiatement, et des groupes armés illégaux, en particulier Bacrim, continueront à agir, mais il est aussi très probable que, comme il a déjà été mentionné, qu’un pourcentage des fronts des FARC soit également susceptible de rester dans le conflit. Ce sont des difficultés que le pays devra résoudre. Je dirais que ceci va se résoudre dans la mesure où l’ensemble de la société restera unie et prendra conscience que si elle n’appuie pas le gouvernement colombien dans ce dossier, il sera très difficile de penser que cette question se résout à court terme.

 

3. Vous avez étudié en profondeur les questions agricoles dans le pays, quelles sont les impacts de cet accord pour une région comme Antioquia, compte tenu de la forte concentration des terres et de la dépossession qui a eu lieu dans ce département

Je crois que l’entente, en principe, amènera le département d’Antioquia à revoir ses stratégies de développement rural, non pas parce que ce qui est fait est mal, je sais que le travail qui est fait au Sécretariat de l’agriculture dans cette administration est très bien et je pense qu’ils font des choses très intéressantes, mais de toute évidence, ce n’est pas suffisant. Je pense que l’entente dit aux  départements, en ce sens: attention,  passons en revue les stratégies,  révisons nos approches du problème,  travaillons d’une manière plus coordonnée,  unissons nos ressources aux niveaux régional et sous-régional pour faire des choses qui conviennent aux gens. Évidemment, il faut examiner la question de l’accès inégal à la terre. À Antioquia cette inégalité est très visible, car il y existe un très haut index au Gini. Cela implique donc de mettre en œuvre une politique qui va bien au-delà du simple fait de faire le titrage de terres vacantes, mais il faut aussi  chercher comment résoudre les conflits d’utilisation des terres et de convertir et d’intervenir les terrains utilisés, par exemple, dans l’élevage du bétail dans les zones où il ne devrait pas y avoir l’élevage extensif de bétail . Et, le département devra utiliser les instruments généraux de la politique publique pour faire des changements dans les impôts fonciers comme le suggère l’entente.

Donc, les départements devront revoir leurs stratégies, être plus articulés avec les politiques nationales et aussi s’appuyer davantage sur les politiques territoriales pour que, globalement, il y ait un impact notable sur le territoire.

 

Alfredo Molano, sociologue, journaliste et écrivain colombien

1. Quelle est votre opinion concernant l’entente et  la question agraire et le développement rural présentés par le gouvernement et les FARC?

Cette entente est une étape importante, il faut savoir que dans le passé, jamais les FARC n’ont signé un tel accord avec l’État, avec l’établissement. Il y a eu des approches que nous connaissons tous, mais un accord sur la question de la terre si définitif et solide, c’est une première.

Évidemment, il reste beaucoup à concrétiser, car l’entente est encore embryonnaire, mais elle est beaucoup plus concrète que l’accord d’Oslo. Je pense qu’ils se sont déjà mis d’accord sur beaucoup de choses et qu’ils verront la lumière au bout du tunnel lorsque tout le monde sera d’accord, comme l’indique la philosophie de la négociation : "Rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu"

Cette question de «le tout est convenu » ira sur l’opinion publique,  le minimum de ce qu’ils accordent, certains, mais je pense que l’entente est très avancée, selon ce que j’en comprends, il s’agit de rédiger un grand nombre de points, qui comprend, par exemple celui des zones de réserve paysanne, leur fonction, leur emplacement ; la création d’un fonds national des terres pour la paix ; l’organisation territoriale, environnementale, sociale et économique, peut-être aussi de parler des modalités d’une réforme fiscale qui  touchera les grands propriétaires terriens, tel qu’a été demandé, il y a de nombreuses années, je ne dis pas par les FARC mais par Hernan Echavarria Olózaga qui fut le premier à formuler cette voie : une réforme agraire par la voie fiscale.

Il y a beaucoup d’autres choses à connaître sur cet accord, les informations sont minimes, mais on sent clairement un accord politique.

 

2. On pourrait s’attendre à ce que des questions comme la propriété étrangère des terres et la délimitation des zones de réserve paysanne aient été davantage soulignées dans l’entente présentée, donc à quoi pouvons-nous attendre sur ce sujet?

Sur ces points, il y a quelques informations implicites, comme l’utilisation des terres, par exemple. Cette utilisation des terres peut faire allusion à  l’exploitation minière, peut se référer à l’élevage intensif de bétail et à la plantation de conifères dans les plaines. Je veux dire que l’utilisation des terres peut avoir beaucoup dimensions. Mais j’insiste sur le fait que je ne sais pas si ces points ont été évoqués ou pas. De toute façon, rien n’a encore été dévoilé à ce sujet,  mais ils se dirigent vers là, à la réglementation de l’utilisation des terres en Colombie.

 

3. Quels sont les secteurs de la campagne colombienne qui pourraient être affectés par ce modèle de développement rural intégré?

Ceux à qui cela nuira le plus – en fait, je pense que ceux qui réagissent le plus fort sont ceux qui se sentent menacés, dont l’ Uribisme (en se réfèrent aux personnes proches de l’ex-président Alvaro Uribe, Ndt), le processus est déjà commencé, n’est pas une promesse, on ne parle pas seulement de l’avenir, mais de décisions déjà prises dans le présent. Et  en deuxième lieu, les grands propriétaires fonciers – il s’agit en fait presque des mêmes personnes. Donc, je pense que ce sont ces personnes qui se sentent menacées (qui sentent qu’on leur marche sur les orteils), parce que même si on ne parle pas directement des grandes propriétés terriennes, elles finiront par être touchées de toute façon.

 

4. Pensez-vous que celle-ci sera le modèle de développement rural intégré qui va transformer la campagne colombienne ou il s’agit tout simplement d’un pas vers l’avant pour déclencher ce processus?

Je pense que c’est une étape pour permettre à long terme  la démobilisation ou l’abandon des armes, parce qu’il s’agit de toute façon d’un point historique que les FARC ont demandé et aussi le thème qui a déclenché le conflit armé. Donc, si le problème de la question de la terre est résolubien que cela ne signifie pas la fin de tous les autres conflits dans le pays –  il s’agit ici  d’un pas important pour l’abandon des armes.

 

5. Après cette première entente, comment voyez-vous le processus de dialogue, est-il possible d’avancer plus vite?

Je ne sais pas si le dialogue peut aller plus vite. Ce que je sais, c’est qu’il a gagné en confiance, dans la confiance du public. Donc, ça va aussi permettre aux parties de renforcer la confiance en l’autre, parce que de toute façon, il y a une certaine pression du public pour faire avancer les choses. Il s’est avéré que l’avancement est possible, parce que le pays a pris goût à la négociation et parce que la possibilité d’un arrangement est déjà saisie.

Yhoban Camilo Hernandez Cifuentes
Periodista egresado de la Universidad de Antioquia. Candidato a Magister en Ciencia de la Información con Énfasis en Memoria y Sociedad, Escuela Interamericana de Bibliotecología de la UdeA. Coordinador de la Agencia de Prensa IPC entre 2012 y 2018. Actualmente periodista en Hacemos Memoria. Trabajando por esa Colombia excluida y vulnerada, por aquellos que no son escuchados y por la anhelada paz. Aficionado a la literatura, al rock, a las huertas y a las buenas películas.